CHRONIQUE DE Félicité VINCENT : ECHEC DU REVE DEMOCRATIQUE EN AFRIQUE DE L’OUEST Chronique de Félicité VINCENT 05 février 2024

05 février 2024 - 22:36 - 2119vues
Par Félicité VINCENT
L'éclairage de la rédaction
En suspendant sine die l’élection présidentielle du 25 février, Macky Sall viole la constitution et met le Sénégal dans une zone de haute turbulence. Quelles sont les raisons pour justifier le report du scrutin ? Macky Sall peine à convaincre les raisons qui justifient la suspension de l’élection. Le Sénégal ne peut « se permettre une nouvelle crise » après les troubles meurtriers de mars 2021 et juin 2023, a expliqué le président Macky Sall, samedi 3 février, en annonçant le report de l’élection présidentielle prévue le 25 février, quelques heures avant l’ouverture officielle de la campagne dimanche. Le conflit qui a éclaté entre le Conseil constitutionnel et l’Assemblée nationale pour corruption des juges de la Cour constitutionnel, après la validation définitive de vingt candidatures et l’élimination de plusieurs dizaines d’autres, est de nature à provoquer cette crise tant redoutée.
Le fils de l’ancien Président Abdoulaye Wade, Karim Wade, et l’un des candidats recalés, qui a mis le feu aux poudres entre les deux juridictions. Karim Wade et ses conseils ont remis en cause l’intégrité de deux juges constitutionnels et ils réclament le report de l’élection. Les députés de l’Assemblée nationale du Sénégal ont approuvé la création d’une commission d’enquête sur les conditions de validation des candidatures. Cette décision fragilise l’autorité du Conseil constitutionnel, et donc sa légitimité à encadrer les élections présidentielles est mise en cause.
L’une des candidates retenues aurait menti sur sa vraie nationalité. Plusieurs raisons laissent penser, que Macky Sall, a peur de prendre le risque de contestation des résultats du scrutin était très fort : c’est pourquoi il a décidé de le reporter, sans pour autant fixer une nouvelle date.
► Que cherche-t-il Macky Sall ?
Les justifications qui sont apportées par Macky Sall ne convainquent personne au-delà de son propre cercle le plus proche. Cette décision incongrue laisse apparaître plutôt comme une manœuvre pour garder la mainmise sur le Sénégal. Les éléments qui le laissent entendre, est le rôle joué, contre toute attente, par ses propres députés dans la crise entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel. Ses députés ont apporté leur soutien à la création de la commission d’enquête sur la validation des candidatures, ils ont créé les conditions de la crise qui justifie aux yeux de Macky Sall la suspension du scrutin.
En plus, son candidat, le premier ministre Amadou Ba, ne faisait même pas l’unanimité dans la coalition présidentielle. La certitude que ce dernier, qui est de plus en plus contesté et peu charismatique, soit élu dès le premier tour s’effritait de jour en jour. D’autres candidats, comme Bassirou Diomaye Faye, s’imposaient de plus en plus auprès des populations. Plusieurs raisons qui poussent Macky Sall et sa coalition à garder le pouvoir, figurent les bénéfices attendus des champs de gaz et de pétrole dont l’exploitation doit commencer en 2024. Cette manne rapporterait 28 milliards d’euros en trente ans. «Les perspectives financières, qu'observaient l’été dernier Vincent Foucher, de l’unité de recherche Les Afriques dans le monde (LAM), n’est pas de nature à convaincre Macky Sall à renoncer au pouvoir. » « Les nombreuses crises politiques sur le continent africain sont liées à cette volonté de rester le pouvoir pour conserver la manne pétrolière », note aussi le politologue sénégalais Serigne Bamba Gaye.
► Comment les Sénégalais ont-ils réagi à cette annonce ?
C'est la stupéfaction générale et la surprise ont primé à l’annonce du report. C'est un étonnement qui est vite remplacé par la colère et les critiques. « Déception », « insulte à la face des Sénégalais », « jeux d’alliances »… Une large partie de la population fustige ce report. « C'est une volonté claire de conserver le pouvoir. Pour le moment, sans nouvelle date du scrutin, ce n’est pas un report mais une annulation ! » Déplore Idrissa, Dakarois de 37 ans.
Cette décision de Macky Sall a également provoqué une levée de boucliers dans les rangs de l’opposition et la société civile. « Khalifa Sall candidat à la présidentielle et ex-maire de Dakar dénonce que Macky Sall s’est armé d’un bélier pour défoncer les remparts de notre démocratie pour donner corps à son rêve d’éternité au pouvoir ». Le candidat Thierno Alassane Sall déplore, lui, une « haute trahison ».
Le terme « coup d’État institutionnel » a été brandi à plusieurs reprises par des observateurs de la vie politique. Le mouvement citoyen d’opposition Y en A marre a souligné qu’« une fois de plus, le président Macky Sall a foulé aux pieds la charte fondamentale de notre pays ». Tous les candidats de l’opposition sénégalaise ont décidé de lancer la campagne électorale ce dimanche et ont appelé à la mobilisation citoyenne malgré le report.
► En fait pourquoi est-ce inquiétant ?
Après l’annonce de la suspension de l’élection présidentielle, les États-Unis et l’organisation régionale ouest africaine (CEDEAO) ont tout de suite exprimé leur inquiétude ou leur profonde préoccupation. Ont appelé, tout comme l’Union européenne et la France, les autorités à fixer rapidement une nouvelle date pour le scrutin. Le report de cette élection a lieu alors que la société sénégalaise est fissurée par une grave crise de confiance l’égard du monde politique. Le Sénégal est en proie à une crise économique structurelle qui frappe directement la population : plus de la moitié des 15,4 millions d’habitants vit au-dessous du seuil de pauvreté, une situation qui pousse de plus en plus de Sénégalais à migrer vers l’Europe au péril de leur vie. Face à cette violation de la constitution par Macky Sall, des réactions très vives de l’opposition et des mouvements de la société civile sont à redouter, sous la forme de manifestations dans toutes les principales villes du Sénégal, à commencer par Dakar et Ziguinchor, bastion et fief de son principal opposant Ousmane Sonko. Des débordements et des pillages, comme en juin 2023 font craindre le pire. Le pire à craindre est la réaction des forces de l’ordre, très peu connues pour leur modération. Ce coup de force est d’autant plus inflammable que le contexte sous-régional est très dégradé. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger viennent d'annoncer il y a juste une semaine de quitter la CEDEAO, l’organisation ouest africaine n’a jamais paru aussi fantomatique : ses leviers d’action pour favoriser le retour à l’ordre constitutionnel au Sénégal sont quasiment nuls. Les coups d’État en Guinée le 5 septembre 2021, au Mali le 18 2020, au Burkina Faso le 20 septembre 2022 et au Niger 26 juillet 2023, échec du rêve démocratique en Afrique de l’ouest. La démocratie encouragée par des puissances extérieures comme la France, l'UE et les Etats-Unis sont un échec.
Une crise inédite.
C’est pour la première fois depuis 1963 qu’une élection présidentielle au suffrage universel direct est reportée au Sénégal pays d'Afrique de l'Ouest. Mais le Sénégal n’a jamais connu de coup d’État, chose rare sur le continent africain, alors qu’ils se sont succédé ces dernières années en Afrique de l’Ouest dans l'espace CEDEAO. Le président Macky Sall a été élu pour la première fois en 2012. Il est réélu en 2019, et il a changé la Constitution afin de lui permettre de se présenter à un nouveau mandat. Les manifestations en faveur de l’opposant Ousmane Sonko ont fait 15 morts le 15 juin 2023. En juillet 2023, à la surprise et au soulagement général du peuple sénégalais, Macky Sall renonce à se présenter à la présidentielle de 2024. Le 3 février 2024, il suspend sine die le scrutin présidentiel du 25 février en violant la constitution sénégalaise.
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