L’Afrique après l’USAID : qui paiera la facture de la santé mondiale ?

 L’Afrique après l’USAID : qui paiera la facture de la santé mondiale ?

✍️ Par Félicité Amaneyâ Râ VINCENT


Contexte géopolitique : la santé comme levier de souveraineté

Le retrait progressif des États-Unis du financement mondial de la santé n’est pas un simple ajustement budgétaire : c’est un tremblement de terre géopolitique. Pendant plus de 30 ans, l’USAID fut le principal pilier du système sanitaire africain, finançant la lutte contre le VIH, les campagnes de vaccination et les soins maternels.
Son désengagement soudain rebat les cartes du pouvoir global sur un terrain rarement analysé : la santé comme instrument d’influence internationale.

Le Nigeria perd à lui seul plus de 600 millions de dollars, tandis que le Botswana, à revenu intermédiaire, dépendait encore à 30 % de fonds américains.
Au même moment, l’Europe se désengage elle aussi : la France réduit son aide publique au développement (APD) de 18 %, l’Allemagne suit, et les Pays-Bas retirent leur objectif de contribution liée au revenu national brut.

L’Afrique se retrouve donc face à un paradoxe : elle n’a jamais eu autant besoin de financement, et pourtant, le robinet se ferme.

Vers une souveraineté sanitaire africaine

Pourtant, le continent n’est pas resté passif. Plusieurs États avaient déjà anticipé cette rupture.
Le Nigeria, par exemple, a lancé dès 2023 son Initiative de renouvellement du secteur de la santé, coordonnant l’ensemble des ressources nationales et fédérales dans un cadre unifié.
Le Ghana a instauré une taxe de 20 % sur les boissons sucrées, et le Kenya a transformé son système d’assurance maladie pour garantir une couverture universelle.

En août 2025, lors du Sommet d’Accra sur la souveraineté sanitaire, les chefs d’État africains ont lancé un appel clair : “La santé sans aide.”
Leur ambition : mutualiser les achats, mobiliser les ressources domestiques et investir massivement dans la production régionale de vaccins, médicaments et équipements médicaux.

“Nous ne pouvons pas bâtir des populations en meilleure santé sur la seule générosité des autres nations”, a déclaré Muhammad Ali Pate, ministre nigérian de la Santé.

Les nouvelles forces africaines

Des institutions structurantes émergent :

  • Les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique), piliers pendant la pandémie de COVID-19, développent une plateforme d’achats groupés et soutiennent la production pharmaceutique locale.

  • L’Agence africaine des médicaments, lancée en 2021, harmonise la régulation et accélère la création d’un marché pharmaceutique intégré.

  • Neuf pays africains disposent désormais d’autorités de niveau 3 (ML3) de l’OMS, contre deux en 2021 — une avancée décisive vers l’autonomie.

⚖️ La santé, nouveau champ de rivalités internationales

Mais le vide laissé par Washington attire de nouveaux acteurs.
La Chine renforce son influence à travers son initiative Health Silk Road, finançant le siège du CDC africain et investissant dans la fabrication locale de vaccins.
Les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite financent désormais des programmes via le Fonds Beginnings et le Fonds pour la Vie et les Moyens de Subsistance de la Banque islamique de développement.

Derrière ces financements, se joue une recomposition des influences globales : la santé devient un outil diplomatique, au même titre que les bases militaires ou les infrastructures stratégiques.

Les philanthropies internationales (Fondation Gates, Wellcome, Novo Nordisk) participent à la stabilisation des programmes, mais elles ne rendent de comptes à aucun gouvernement africain.
Résultat : les priorités africaines restent dépendantes de volontés extérieures.

Reconstruire un modèle africain

Le Programme de Lusaka (2023) a posé un jalon essentiel : acheminer les financements directement via les systèmes nationaux.
Mais tant que les conseils d’administration du Fonds mondial, de l’OMS ou de Gavi resteront dominés par les bailleurs, l’agenda africain restera périphérique.

Les solutions sont connues :

  • instaurer des planchers légaux de dépenses publiques en santé,

  • élargir la fiscalité santé (taxes sur les produits nocifs),

  • promouvoir la mutualisation régionale des achats et la production locale,

  • activer les échanges de dettes contre investissements sanitaires.

Conclusion : l’Afrique à la croisée des chemins

Le retrait américain a révélé la fragilité d’un modèle fondé sur la dépendance, mais il ouvre une opportunité historique : celle de construire une Afrique qui soigne avec ses propres moyens.
D’ici cinq ans, le véritable test de réussite ne se jouera pas à New York ou à Genève, mais à Abuja, Addis-Abeba, Kigali, Nairobi et Pretoria — là où l’avenir de la santé africaine se décidera enfin par et pour les Africains.

Le retrait de l’USAID bouleverse la géopolitique de la santé mondiale. En Afrique, cette crise révèle les dangers de la dépendance et ouvre un tournant vers la souveraineté sanitaire. Entre Chine, Émirats et nouvelles institutions africaines, le continent redéfinit sa place dans la gouvernance mondiale de la santé.